Tachycardie jonctionnelle automatique
Rédacteur : Dr Maxime Beneyto (CHU Toulouse). Relecteur : Dr Nicolas Derval (CHU Bordeaux).
Définition et mécanisme
Comme son nom l’indique, il s’agit d’un automatisme jonctionnel anormal qui prend le pas sur le rythme sinusal. L’atrium est dépolarisé par voie rétrograde et le ventricule par voie antérograde. Il n’y a pas de circuit (pas de réentrée) ; le rythme peut donc théoriquement être dissocié des atria et/ou des ventricules qui ne sont pas nécessaires à la poursuite de la tachycardie. Cet automatisme provient de la jonction atrioventriculaire, c’est-à-dire soit du nœud atrioventriculaire, soit du faisceau de His.
Le mécanisme exact de l'automaticité anormale du nœud atrioventriculaire ou du faisceau de His est mal élucidé. Cela pousse certains auteurs à questionner la réalité de cette entité d’un point de vue physiopathologique (ce d’autant plus que le diagnostic électrophysiologique est difficile) et envisager des diagnostics différentiels comme les tachycardies par réentrée infra-atriale (cf. ci-après).[1]
Il faut avant tout faire la différence entre les tachycardies jonctionnelles automatiques et les rythmes jonctionnels accélérés, plus lents (jusqu’à 100 bpm), qui peuvent être observés dans l’intoxication digitalique, dans l’ischémie myocardique aiguë, en cas d’administration de vérapamil ou d’isoprénaline.
La tachycardie jonctionnelle automatique est favorisée par l’hyperadrénergie.
La dénomination anglaise la plus courante de cette tachycardie est junctional ectopic tachycardia (JET).
Prévalence et démographie
La tachycardie jonctionnelle automatique est une entité très rare.
Elle ne survient presque que dans deux situations bien distinctes :
- chez les nouveau-nés (forme congénitale) et
- dans les suites d’une chirurgie cardiaque (essentiellement chez l’enfant, parfois chez l’adulte).[2]
Dans le deuxième cas, la tachycardie est spontanément résolutive au bout de quelques jours.
C’est dans sa forme postopératoire que cette tachycardie est la plus fréquente. Elle concerne près de 5% du post-opératoire des chirurgies pour cardiopathie congénitale. Chez l'adulte, elle est le plus souvent observée après une chirurgie proche du nœud AV (chirurgie valvulaire aortique).
Il est exceptionnel que ce type de tachycardie survienne chez l’adulte en dehors des situations suscitées.
Diagnostic
Description clinique
Forme congénitale
La forme congénitale survient chez les nouveau-nés et les nourrissons de moins de 6 mois. Dans près de deux tiers des cas, elle est incessante et responsable d’une insuffisance cardiaque, souvent au stade de choc cardiogénique. Si les premières publications faisaient état d’une mortalité élevée, avoisinant les 35%,[3] des études plus récentes rapportent une amélioration du pronostic grâce aux progrès thérapeutiques. La mortalité serait désormais autour de 4%.[4]
Forme postopératoire
Dans cette forme, la tachycardie survient soit en postopératoire immédiat, soit de manière retardée (H24 à H72). Chez l’enfant, elle fera suite à une correction chirurgicale de cardiopathies congénitales, en particulier de tétralogie de Fallot. En effet, ce sont les gestes chirurgicaux portant sur l’atrium et le ventricule droits qui sont les plus pourvoyeurs de tachycardies jonctionnelles autonomes du fait de leur proximité avec le faisceau de His. La jeunesse du patient, la durée et la complexité de la chirurgie et l’utilisation d’amines sont autant de facteurs favorisants.[5]
Dans la plupart des cas postopératoires, la tachycardie jonctionnelle automatique s’interrompt d’elle-même en 48 – 72 h. Il est essentiel de contrôler la fréquence cardiaque et l’hémodynamique du patient dans ce laps de temps. Lorsque la fréquence reste incontrôlée, des taux de mortalité jusqu’à 40% ont été rapportés.[3]
La compromission hémodynamique engendrée par la tachycardie majore le tonus adrénergique, ce qui entretient la tachycardie.
Description électrocardiographique
La tachycardie jonctionnelle automatique se présente sous la forme d’une tachycardie à QRS fins d’une fréquence de 110 – 250 bpm. Les ondes P sont souvent dissociées (Figure 1) ; des captures ventriculaires par le rythme sinusal peuvent alors perturber la régularité de la tachycardie.[2]
Lorsque la tachycardie est conduite en 1:1 aux atria, le RP’ est court et l’onde P est rétrograde (Figure 2). Elle est alors négative dans les dérivations inférieures (lorsqu’elle est visible) et positive en V1. Etant donné qu’elle provient du nœud atrioventriculaire, l’onde P dépolarise les atria droit et gauche simultanément ; elle est donc plus étroite (elle dure moins longtemps) que l’onde P en rythme sinusal. Des captures sinusales en tachycardie sont possibles.
Du fait de son mécanisme d’automatisme anormal, on peut observer une instabilité des RR et des phénomènes de warm up (accélération progressive après le démarrage) et de cool down (ralentissement progressif avant l’arrêt).
Dans les formes typiques de l’enfant, les manœuvres vagales et l’adénosine sont sans effet sur la tachycardie. Elles peuvent tout au plus dissocier les ondes P des QRS si ce n’était pas déjà le cas initialement.
Description électrophysiologique endocavitaire
En rythme sinusal (ce qui se produit rarement), l’exploration électrophysiologique ne retrouve pas de voie accessoire ni de dualité nodale. L’existence de cette dernière doit faire suspecter la tachycardie par réentrée intra-nodale qui est le principal diagnostic différentiel.
Lorsqu’elle n’est pas présente à l’état basal, la tachycardie est généralement difficile à induire par des extrastimuli atriaux ou des bursts atriaux ou ventriculaires.
La durée de l’intervalle HV est similaire en tachycardie et à l’état de base.
Dans le cas où il y a une conduction rétrograde en 1:1, l’entraînement ventriculaire en tachycardie va soit dissocier les atria, soit donner des résultats similaires à ceux qui auraient été obtenus lors d’une réentrée intra-nodale. Durant l’entraînement, il faut plus d’une capture ventriculaire complète pour entraîner les atria car il faut pouvoir pénétrer le nœud atrioventriculaire en rétrograde. La différence SA-VA est longue car la dépolarisation du ventricule et des atria se fait en série au lieu de se faire en parallèle. A l’arrêt de l’entraînement, on observe une réponse de type VA(H)V (Figure 3).
Cet entraînement va induire une inhibition temporaire de l’automatisme anormal par la stimulation. A son arrêt, le cycle retour (PPI) au niveau du ventricule sera toujours long, quel que soit l’endroit où il est réalisé (Figure 3). Il en sera de même à l’arrêt d’un entraînement atrial (Figure 5).
Si une extrasystole atriale précoce est délivrée en tachycardie (dans le cas d’une tachycardie en 1:1), celle-ci doit pouvoir avancer le potentiel hissien survenant immédiatement après (Figure 4). C’est ce qui permet de différencier la tachycardie jonctionnelle automatique d’une tachycardie par réentrée intra-nodale (dans laquelle c’est le deuxième potentiel hissien qui est avancé).
A l’arrêt de l’entraînement atrial en tachycardie, on observe une réponse AHHA. Cela permet également de faire la différence avec une tachycardie par réentrée intra-nodale pour laquelle la réponse serait AHA.
Il faut noter que ces deux critères diagnostiques ont de rares exceptions rendant possible leur observation en cas de tachycardie par réentrée intra-nodale (en cas de double réponse, notamment).
Lorsqu’il existe une dissociation atrioventriculaire en tachycardie, il convient de faire le diagnostic différentiel avec les tachycardies par réentrée infra-atriale (Figure 6).[1] Il s’agit de tachycardies par réentrée impliquant des voies accessoires ventriculo-nodales ou ventriculo-hissiennes (qui n’ont donc pas besoin des atria pour se perpétuer à la différence des réentrées sur voies accessoires classiques). Ce mécanisme rend possible, tout comme dans les tachycardies jonctionnelles automatiques, l’existence de tachycardies à QRS fins dissociées des atria. Cependant, le ventricule fait alors partie du circuit, le cycle retour à l’arrêt de l’entraînement ventriculaire sera donc proche du cycle de la tachycardie (et des QRS fusionnés pendant l’entraînement ventriculaire pourront être observés). Au cours de ces tachycardies, la délivrance d’un extrastimulus ventriculaire en période réfractaire du His peut :
- avancer le potentiel hissien suivant par un passage de l’influx électrique rétrograde via la voie accessoire,
- retarder le potentiel hissien suivant par un passage de l’influx électrique rétrograde via la voie accessoire auquel s’ajoute un allongement de AH du fait des propriétés décrémentielles de la conduction antérograde via le nœud atrioventriculaire ou
- interrompre la tachycardie, après avoir emprunté la voie accessoire, par blocage antérograde dans le nœud atrioventriculaire
Ces réponses ne sont pas possibles dans la tachycardie jonctionnelle automatique. En effet, l’extrasystole étant délivré en période réfractaire du His, elle ne pénètre pas ce dernier et n’interfère donc pas avec la tachycardie.
Traitement
Formes congénitales
La tachycardie est insensible à la stimulation antitachycardique atriale ou ventriculaire, à l’adénosine (en dehors de l’obtention d’une dissociation atrioventriculaire) ou à la cardioversion électrique.
Beaucoup d’approches pharmacologiques ont été décrites, reposant sur peu de données. Ce qui semble admis est que le traitement de première ligne est l’amiodarone. C’est l’antiarythmique le plus efficace mais il faudra plusieurs heures pour obtenir des effets thérapeutiques. Lorsque son efficacité reste insuffisante, il peut être associé au propranolol, à la propafénone, au flécaïnide ou à l’ivabradine. C’est peut-être cette dernière molécule, associée à l’amiodarone, qui est la plus efficace. Il faudra être vigilant avec les bêtabloquants car ils risquent de dégrader l’hémodynamique par leur effet inotrope négatif. Similairement, la forme intraveineuse de l’amiodarone peut être hypotensive. Longtemps donnée dans les cas d’insuffisance cardiaque pour son effet « tonicardiaque », la digoxine est à proscrire car elle pourrait précipiter le choc cardiogénique ou favoriser la survenue de fibrillation ventriculaire.[6]
Environ 10% des patients auront une réponse complète au traitement pharmacologique avec une disparition de la tachycardie. Soixante-dix pourcents des patients auront une réponse partielle au traitement pharmacologique et les 20% restants s’avèreront réfractaires au traitement médical.[5]
Pour ce dernier groupe de patients, il faut se diriger vers une ablation endocavitaire par radiofréquence. L’ablation cible le site de primo-dépolarisation atriale rétrograde qui peut être localisé en cas de conduction VA 1:1. Lorsque ce n’est pas le cas, les tirs sont délivrés selon une approche anatomique similaire à celles adoptées pour l’ablation d’une voie lente (régions périnodales du septum interatrial postérieur, en se rapprochant peu à peu des voies de la conduction en cas d’échec). Le taux de succès est moindre que pour les ablations de tachycardies par réentrées intra-nodales (80 %) et le risque de stimulation cardiaque définitive est plus élevé (5 – 10 %). La cryoablation a également été décrite avec un risque de bloc atrioventriculaire complet quasi-nul.
Si le traitement pharmacologique a suffi en phase aigu, le traitement d’entretien peut reposer sur le propranolol, le flécaïnide ou la propafénone. Il pourra être progressivement arrêté à l’adolescence.
Formes postopératoires
La tachycardie est insensible à la stimulation antitachycardique atriale ou ventriculaire, à l’adénosine (en dehors de l’obtention d’une dissociation atrioventriculaire) ou à la cardioversion électrique.
Le traitement pharmacologique va reposer sur l’anxiolyse, l’antalgie et les hypnotiques pour leur effet sympatholytique. Il est suggéré de supplémenter en potassium et en calcium pour les amener aux limites supérieures de leurs valeurs normales. Les vasodilatateurs (nitrés notamment) sont à éviter pour limiter la tachycardie réflexe. Les amines possédant un effet chronotrope positif (dopamine, dobutamine) sont également à limiter dans la mesure du possible. L’application d’une hypothermie thérapeutique à 32 – 35°C aiderait à contrôler la fréquence cardiaque en tachycardie.[5]
Si la tachycardie n’est pas trop rapide (<180 bpm), une stimulation atriale au-delà de cette fréquence peut être instaurée pour restaurer la synchronisation atrioventriculaire, ce qui peut aider au maintien hémodynamique.
L’antiarythmique de choix est l’amiodarone. L’usage de procaïnamide, flécaïnide ou propafénone a été rapporté mais les données sont rares. Il faudra dans tous les cas veiller à ce qu’il n’y ait pas de dégradation de l’hémodynamique en cas d’usage d’inotropes négatifs.
Lorsqu’aucune de ces manœuvres n’a permis de contrôler la tachycardie, c’est vers l’ablation endocavitaire qu’il faut se tourner. Y recourir est rarement nécessaire, la forme postopératoire de la tachycardie jonctionnelle automatique s’interrompant d’elle-même dans les 72h.
Références
- ↑ 1,0 et 1,1 Tchou P, Nemer D, Saliba W, et al. Junctional Tachycardia. JACC: Clinical Electrophysiology. 2023;9(3):425-441. doi:10.1016/j.jacep.2022.10.040
- ↑ 2,0 et 2,1 Grolleau R, Gallay P. Arythmies cardiaques illustrées et expliquées. Montpellier: Sauramps médical; 2017.
- ↑ 3,0 et 3,1 Case CL, Gillette PC. Automatic Atrial and Junctional Tachycardias in the Pediatric Patient: Strategies for Diagnosis and Management. Pacing Clin Electrophysiol. 1993 Jun;16:1323–35.
- ↑ Collins KK, Van Hare GF, Kertesz NJ, Law IH, Bar-Cohen Y, Dubin AM, et al. Pediatric Nonpost-Operative Junctional Ectopic Tachycardia. J Am Coll Cardiol. 2009 Feb;53(8):690–7.
- ↑ 5,0 5,1 et 5,2 Kylat RI, Samson RA. Junctional ectopic tachycardia in infants and children. J Arrhythmia. 2020 Feb;36(1):59–66.
- ↑ Brugada J, Katritsis DG, Arbelo E, Arribas F, Bax JJ, Blomström-Lundqvist C, et al. 2019 ESC Guidelines for the management of patients with supraventricular tachycardiaThe Task Force for the management of patients with supraventricular tachycardia of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J. 2020 Feb 1;41(5):655–720.